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samedi 9 août 2014

La Maison Maure



Quand Marco venait dans la Maison Maure
Sur le sol glacé du grand corridor
Il allait glisser comme un cygne noir
Cherchant son image au creux d'un miroir

Quand Marco dansait sur du fandango
Comme un papillon qui se joue des flammes
Avec la ferveur envoûtée des femmes
Et le regard dur qu'ont les hidalgos

Sa robe moirée couleur d'amarante
Caressait sa peau d'ambre libertine
Les plis de la soie sauvage et mutine
Frôlaient de ses reins la courbe affolante

De grands chandeliers éclairaient la salle
Et quand les regards le prenaient pour cible
Plus il se donnait pour inaccessible
Plus le feu couvait dans les yeux des mâles

Marco s'enroulait ramenant ses voiles
Autour de son cœur comme sous l'étoile
S'endort une fleur et dans un soupir
Un oiseau blotti qui vient s'assoupir


Etait-il Orphée rêvant d’Eurydice
Chevalier d'Eon ou Farinelli ?
Sous ses longs cheveux, sous ses maléfices
Combien de passions, combien de folies !

Quand Marco aimait, il sentait la poudre
Il partait chasser la fleur au fusil
Mais c'était sur lui que tombait la foudre
Il croyait saisir, il était saisi

Il avait les yeux d'un loup aux abois
Mais la voix trop douce et la chair trop tendre
Il avait jeté son manteau sur moi
Je devait le suivre et sans plus attendre


Nous avons grimpé jusqu'à la mansarde
Sous l'éclat de lune infiltré du toit
Quand n'y tenant plus j'arrachai ses hardes
Je sentis sa peau frémir sous mes doigts

Marco se dressait comme un guerrier nu
Ainsi les gaulois qui le poing tendu
Montaient à l'assaut du lit de César
Pour venger l'honneur des amants barbares


Et l'instant d'après Marco se lovait
Réveillant en moi les feux les plus fauves
Et je me souviens comme il ronronnait
Quand d'un coup de reins, j'entrais dans l’alcôve


Etait-il amant, était-il amante ?
Mes mains sur son corps hésitaient encore
Les jardins secrets sont ceux qu'on déflore
Et de l'eau qui dort viendra la tourmente


Marco s'endormait ravagé d'amour
Dans la chambre moite où l'air était lourd
Plongeant dans la nuit d'un sommeil factice
Parmi les relents d'opium et d'épices


Alors j'ai sur lui refermé les voiles
Et refait le geste en pliant la toile
D'une veuve indienne à l'instant fatal
Dressant un bûcher de bois de santal

J'ai versé sur lui des flacons d'essences
Des parfums de musc et de tabac blond
Des cuirs de Russie qui troublaient les sens
Et dont les vapeurs montaient au plafond

Puis j'ai aligné des bougies rituelles
Posées sur son corps dans les draps mouillés
Il n'a plus suffi que d'une étincelle
Pour que tout s'enflamme en un grand brasier

Au cœur de la nuit comme une torchère
La maison brûlait et dans la lumière
S'épuisait le bal des soldats du feu
Et puis l'incendie mourut peu à peu

Etait-il un elfe à jamais enfui ?
Un djinn insolent péri dans les flammes ?
Dans les reliquats de cendre et de suie
Sur des feux follets s'envolait son âme


CV 26 janvier 2014


vendredi 8 août 2014

La Fontaine aux innocents




Dans la fontaine aux innocents
Sur le coup de midi quand le carillon sonne
Les amants de Vérone et les mariés du jour
Au vent de leur amour jettent des ronds dans l'eau
Des monnaies de moineaux, des piécettes d'argent

De cuivre et d'étain blanc. Il y en a des centaines
Au fond de la fontaine. Ils semblent sommeiller
Midi les fait briller de mille éclats vermeils
Aux reflets du soleil, dans les remous de l'eau

Et comme un camelot qui brasse des promesses
Au bras d'une princesse il est des troubadours
Qui sèment de l'amour les serments écarlates
L'or volé d'un pirate, un trésor englouti


La fontaine est bâtie en marbre de Carrare
Ornée de nénuphars et sculptée d’angelots
Qui font jaillir de l'eau de poissons et d'amphores
Coulant de bord à bord dans les bassins versants


Vers la fontaine aux innocents
A la tombée du jour les oiseaux du quartier
Accourent en nuées des jardins alentour
Il en vient de partout, des arbres et des toits
Etourdis de rosée, tour à tour, ils se posent

Il y a des rossignols et des bergeronnettes
Des fauvettes grison et des chardonnerets
Qui plongent de la tête en secouant les vasques
Et font des vagues d'eau, fantasques, polissonnes


La petite marmaille agacée s'y chamaille
On se chasse de l'aile, on se pique du bec
On reprend sa querelle oubliée de la veille
Et vole plume à l'air et la volière va


La fontaine est bâtie comme un arbre de pierre
Et dans ses frondaisons l'eau de pluie recueillie
Par des angelots clairs en leurs paumes de marbre
Fait des bouquets de brume à perdre la raison


A la fontaine aux innocents
Sur le coup de minuit d’étranges pénitents
Faits d'encre et de fumée, de cendre et de brouillard
Se donnent rendez-vous dans la ville endormie
A l'heure où vont les fous s’enchaîner sous la lune


Des ombres de poupées au masque de faïence
Les menines fripées, des infantes défuntes
Des spectres de gamins flottant sur la rivière
Ou traçant de la main des signes à la craie


Ils vont en ribambelle en habit d'autrefois
Danser la ritournelle ou se livrer bataille
Sur des chevaux fluets pour des châteaux diaphanes
Et s'ils n'étaient muets on entendrait leurs rires

La fontaine est bâtie comme un grand carrousel
Que le temps ralenti a figé dans la pierre
Un manège immobile entouré d'ombres folles
Où des esprits subtils aiment rôder la nuit


Sur la place des Innocents
Bien avant la fontaine il y avait un couvent
On y donnait l'asile au nom de l'évangile
Et les sœurs de Saint Jean abritaient quelques heures
Des fils de huguenots pourchassés par des sots

La Saint Barthélémy y joua d'infamie
Le tocsin rassemblait des hordes d'assassins
Des cohortes de gueux qui fracassaient les portes,
Arrachaient les enfants aux bras qui les cachaient

Le massacre dura jusqu'aux heures de nacre
Et la nuit résonnait des clameurs et des cris
Puis le sang qui coulait des yeux des innocents
Fut lavé par la pluie qui noyait les pavés


La fontaine est bâtie pour conjurer les haines
Dont l'écho paie encore au diable son écot
Pour que l'eau qui ruisselle au front des angelots
Purifie les enfants des crimes qu'on leur fit



 Charles Valois Août 2014, in L'Assassin (travail en cours)