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lundi 4 juillet 2016

Ferme la fenêtre


J’ouvre le montant de la porte. Ca ferme la fenêtre. J’ouvre la fenêtre et la lumière s’éteint. Je ferme la fenêtre, le rideau tombe, la musique s’enchaîne. J’arrête la musique, la lumière s’allume. Le café se met à couler dans la cafetière électrique. J’éteins le café et le vide dans l’évier. Le chien aboie. Le journal est livré sous la porte d’entrée. Je l’ouvre. On y parle d’une longue traversée de l'Atlantique par le premier paquebot à vapeur des sens. L’équipage et les passagers sont sains et saufs. Ils sont bien arrivés. New York les salue par une foule immense qui se presse dans cette grande avenue qui s’appelle par son numéro, et des gens jettent des feuilles de papier entières par les fenêtres. J’y étais.

Je replie le journal. L’eau de mer se vide dans la baie d’Hudson et le bateau se retrouve couché sur le côté, à sec. Je le redresse du doigt. Les confettis majuscules cessent de tomber des fenêtre. Je souffle dessus et ils remontent jusqu’aux toits. Le paquebot se traîne sur le ventre jusqu’au quai et s’accroche à une grosse bitte pour ne pas tomber. Les poissons suffoqués reculent dare dare pour retrouver l’eau de la mer. D’autres bifurquent pour tenter de rejoindre le lit de la rivière.

Je mets la musique. C’est Sid Clapton. Un duo de trompette et guitare sans manche qui grince sur la gramophone comme si on avait oublié d’huiler la mécanique. Les oiseaux de mettent à voler plus bas, comme des baignes, et plus ça grince et plus ils décrochent. Ils vont finir par terre. J’arrête la musique. Je remets le journal dans la boîte aux lettres. Le facteur passe. Il le récupère et court le distribuer à la voisine. L’histoire du paquebot va beaucoup lui plaire, j’en suis sûr. Cela fait une semaine qu’on se la repasse de voisin en voisin d’un bout à l’autre de la rue. La même histoire. La même voisine.

Je ferme la fenêtre. Le soleil tombe d’un bloc, et bien entendu, il se reçoit mal. Ca fait un bruit sourd, plaintif. La lune remonte aussitôt, comme un yoyo, juste à sa place, en haut de l’arbre, comme dans un panier, comme un gros oeuf rond, de lumière et de miel, dans son nid. Je tire le rideau. Le chat entre. Il miaule. Il a besoin de quelque chose. Je lui lance son jouet. Mais le jouet disparaît sous un meuble. Le chat ressort, mécontent. Il ne miaule plus. La radio se met à raconter l’inauguration d’un manège à bugnes dans le square des Batignolles, par l’ancien président de la République devenu chef de pompiers de Paris. J’éteins la radio.

Je glisse sous la porte. Le chat n’étais pas bien loin. Je le retrouve roulé en boule dans un pot à fleurs. Il a son jouet avec lui, je me demande comment il a fait pour le sortir je n’ai rien vu. Il dort. Je monte en haut de l’arbre. SON arbre. De là, j’observe tout ce que je veux. Pourquoi les gens sont si petits. Pourquoi le temps passe si peu. Pourquoi soudain la lune paraît plus grosse. Je tire sur sa corde et la ramène à moi. Finalement, elle n’est pas si grosse que ça, pas plus qu’une orange, mais elle est  jaune. Je la relâche. Elle remonte toute seule jusqu’au sommet de l’arbre.

Je descends de l’échelle. Je fais le tour de la maison. Quand je tourne par la droite, les volets claquent sur le côté. Quand je tourne par la gauche, les lumières clignotent en rouge et vert. Il y a quelque chose qui ne va pas. Je monte sur le toit et dévisse la cheminée. Voilà. Il y avait quelque chose de coincé dessous. Une pièce de vingt centimes. Ancienne. Les grosses. Je la prends délicatement entre le pouce et l’index. Les miens, pas les siens. Je remets la cheminée en place, me laisse glisser de dos sur le toit, tomber sur le gazon, juste devant la maison.

J’ouvre la porte. Ca ferme la fenêtre. Je referme la porte et le rideau tombe. C’est bientôt fini. Je vais jusqu’à la cheminée. La boîte à musique trône, juste à la place où était la pendule de Grand-Mère. Je glisse la pièce de vingt centimes dans la fente. Et elle chante. Grand-Mère chante : “Ferme la fenêtre et laissons les volets clos.”





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